Barrages à fermettes mobiles et aiguilles de l'Yonne

Comme son nom ne l'indique pas, le Canal du Nivernais est en fait, sur le tiers de son parcours, la rivière Yonne rendue navigable grâce à une succession de barrages qui régulent la hauteur d'eau de chaque bief. En grande partie cet aménagement a repris entre Clamecy et Auxerre ce qui avait été établi pour la navigation vers Paris des trains de bois flottés depuis plusieurs siècles, en particulier les barrages déversoirs munis de pertuis et gauthiers. Comme la variation très importante du débit de la rivière donnait souvent des crues dévastatrices, on ne pouvait envisager de rehausser les barrages pour procurer le tirant d'eau indispensable aux bateaux. En 1834 l'invention par l'ingénieur Charles Poiré du barrage à fermettes mobiles et aiguilles permit d'abord, à Basseville (en aval de Clamecy), au canal de traverser la rivière à niveau constant. La réussite de cette première réalisation engagea l'aménagement de la rivière suivant le même procédé car c’était beaucoup moins coûteux que le creusement d'un canal latéral à celle-ci.

Cette invention majeure permit ensuite le développement de la navigation commerciale sur la majorité de nos fleuves et grandes rivières: Yonne, Seine, Oise, Saône, Cher, etc. Aujourd'hui, la presque totalité de ces barrages a été remplacée par des nouveaux à clapets métalliques avec relevage hydro-électrique, et les derniers de la région se trouvent pour peu de temps encore à Auxerre, Vaux et Champs-sur-Yonne.


Si aujourd’hui un homme seul suffit pour surveiller et actionner plusieurs barrages mécanisés il n’en était pas de même autrefois. En période normale, les fermettes mobiles perpendiculaires au courant sont toutes relevées et les aiguilles disposées côte à côte pour barrer complètement le flot; un déversoir latéral permet toujours d’évacuer le surplus d’eau lorsque la côte de navigation est atteinte. Les aiguilles, de section rectangulaire, font rarement plus de 3m afin de pouvoir être arrachées à la main et c’est pourquoi les écluses de la partie Nord du canal sont à faible chute et donc si nombreuses.

Autrefois le débouchage, ou abattage, des barrages en temps de crue nécessitait au minimum le travail de 2 agents. A l’annonce de la crue, et suivant une procédure habituelle en fonction des côtes relevées 3 fois par jour à 5 stations, l’ouverture partielle ou complète s’effectuait par paliers successifs, mais en cascade depuis Clamecy vers l’aval. Chaque éclusier barragiste était responsable de son barrage: il surveillait son entretien et c’est lui qui plaçait ou retirait aiguilles et éléments de la passerelle, couchait ou remontait les fermettes mais il devenait aide-barragiste sur l’ouvrage du collègue avec qui il travaillait en binôme, c'est-à-dire qu’il acheminait les aiguilles retirées et disposées en tas sur la passerelle en les faisant glisser par groupe de 5 sur celle-ci à l’aide d’une corde passée dans les poignées. Chaque fermette comportant 15 aiguilles, à son troisième voyage, l’aide disposait sur ces 5 aiguilles les 2 planches amovibles d’un élément de passerelle ainsi que les très lourdes barres métalliques joignant les fermettes. Il tirait l’ensemble pour le stocker dans un local hors d’eau jouxtant l’ouvrage appelé « citrouille » à cause de sa forme. Les aiguilles étaient empilées à plat de façon à ne pas subir de déformation au cours du séchage… Pour que l’ouverture créée dans le barrage ne provoque pas un flot qui noie le barrage situé en aval, il ne fallait pas retirer plus de 3 fermettes à la suite sans aller faire de même au barrage aval avant de continuer. Manœuvre identique sur chaque paire de barrages ou pertuis le long de la rivière. Parfois lors de fortes crues, du personnel supplémentaire se joignait à l’équipe pour retirer et couper les arbres charriés par le courant qui obstruaient l’ouvrage: cela permettait d’accélérer un travail dangereux et pénible. Souvent il fallait intervenir de nuit à la lumière de lampes portatives ou de phares. Petit à petit apparurent des harnais de sécurité reliés à un câble surplombant le barrage puis des gilets autogonflables en cas de chute à l’eau. Si le travail était exclusivement masculin, certains n’avaient pas la force suffisante pour arracher les aiguilles du flot et, de nombreuses fois, ceux de la Fluviale, comme ils aimaient s’appeler, travaillèrent sur un barrage déjà submergé sans voir le plattelage où poser leurs pieds, en se repérant aux montants des fermettes, pour éviter une inondation chez les riverains… Si le travail en temps de crue était pénible, il permettait cependant une camaraderie due au danger et se finissait souvent dans la cave d’une maison éclusière où chacun se réconfortait d’avoir pu empêcher la rivière d’envahir le voisinage (et sa propre maison pour commencer !). Vive le Service Public !!!

Barrage du Batardeau à Auxerre, le plus long du canal.
Barrage du Batardeau à Auxerre, le plus long du canal.
Barrage de Vaux accolé à un pertuis plus ancien construit pour laisser passer les trains de bois avec le flot accumulé en amont.
Barrage de Vaux accolé à un pertuis plus ancien construit pour laisser passer les trains de bois avec le flot accumulé en amont.